Dans les années 80, le présentateur de l'émission de la BBC Top-Gear est Chris Geoffrey. A l’époque, il s’agit d’une personnalité très influente du secteur automobile britannique.
En 1986, il fut parmi les premiers à conduire le Range Rover diesel récemment lancé et cela ne s'est pas très bien passé.
Goffey a clairement dit qu’il n’était pas convaincu par le Range Rover diesel et son moteur VM 2.4 l.
Comme Land Rover n’allait pas vendre plus de 300 exemplaires de Turbo D en Grande-Bretagne cette année-là, l’essai de Chris Goffrey n'entraina pas le désastre que cela aurait pu être.
La petite histoire veut que le Range Rover essayé par Top Gear ait été emprunté à un concessionnaire italien. Il n'avait pas subi de PDI (inspection avant livraison) ni, bien sûr, la préparation très poussée du service presse Land Rover. Pour une raison inconnue, cet exemplaire était passé au travers de la préparation presse commune à tous les véhicules présentés par la marque.
A l'époque, beaucoup d’employés de Land Rover roulaient déjà avec le nouveau Range Rover Diesel, et l'équipe impliquée dans sa création fut naturellement très déçue de ce retour médiatique négatif.
Un responsable de Land Rover, John Faulkner, qui courait en sport automobile a eu l'idée de tenter une série de records d’accélération et d'endurance au volant du nouveau Range à moteur diesel.
Ce qui a rendu la performance remarquable, c'est que tous les membres de son équipe étaient bénévoles et travaillaient sans rémunération, à leur rythme et animés seulement par leur passion, afin de réhabiliter l’image du Range Rover Diesel.
Mais revenons au début du projet « Bullet » qui avait donc pour but de préparer deux modèles Turbo D pour s'attaquer à la classe D des records internationaux. Cette classe « D » s’adresse aux véhicules équipés de moteurs d'une cylindrée comprise entre 2 et 3 litres.
VM, le fabricant italien du moteur Diesel du Range Rover avait tout de suite compris la publicité à retirer de ces records. Dès le début du projet, VM fit preuve d’un soutien indéfectible, jusqu’à préparer des moteurs spécifiquement pour la tentative de record.
La planification et la préparation de cette double tentative se déroulèrent de manière presque clandestine. Très peu de gens à Solihull le savaient, et l'une des raisons était probablement que si quelque chose tournait mal dans cette tentative de record, Land Rover pourrait ainsi ne pas avoir à endosser officiellement l’échec potentiel de l’opération.
Le contexte se modifia quelque peu lorsque Peugeot annonça vouloir faire une tentative, à la mi-août, sur plusieurs de ces mêmes records de la catégorie Diesel. Une tentative effectuée avec des berlines 505 SRD Turbo, et dont hélas je n’ai trouvé aucune trace. Dorénavant, L'objectif n’était plus de battre les records existants de 1978, mais d’aller battre les records de Peugeot, en tirant le maximum du Range Rover Diesel.
L'équipe prénommée « Bullet » utilisait deux véhicules et entendait s'attaquer à deux types de records.
Le premier pour les records des départs arrêtés et des sprints courts, et le second pour les records d’endurance et de distance à vitesse élevée sur l’anneau du MIRA, un célèbre circuit d’essai anglais comparable à notre Montlhéry français.
Il fallait donc effectuer deux types de préparation, assez différents l’un de l ‘autre. Pour les courses d'accélération et de sprint, la solution fut trouvée avec un Range blanc ex-Paris-Dakar que John Faulkner réussit à emprunter à Halt’Up ! Son moteur V8 fut remplacé à Solihull par un Diesel VM, et rééquipé pour ressembler à un Range de série. Et même s'il était loin de ressembler à un Range Rover standard, avec sa carrosserie spéciale qui le rendait considérablement plus léger, il fut accepté par les officiels du RAC. Même ainsi, aucune photo publicitaire n'en fut jamais publiée. Une seule existe, prise de loin, que nous reproduisons ici. Après le record, le Range fut rééquipé de son moteur originel et il retourna en France, pour participer à plusieurs autres éditions du rallye Paris-Dakar.
La première étape du projet « Bullet « a consisté en une série de tests de développement à Bari, en Italie. L’occasion de parcourir près de 18 000 miles où, à l’issu de ces tests il semblait plausible de réaliser un record de 90 à 95 mph de moyenne sur longue distance.
De retour en Angleterre, les hommes du projet vont alors réaliser des essais sur le circuit du Mira et ce, plusieurs semaines avant l'événement lui-même. Il y aura par exemple des tests de conduite de nuit : "Je quittais l'usine au volant de n'importe quel Range que j’avais à ma disposition à l'époque et j’enchaînais avec une série de 400 milles de conduite. », se souvient Colin Parkes. L’occasion pour le Bullet de se « tirer la bourre » avec, par exemple, des Rover SD1 qui étaient à l’essai au même moment sur le circuit du Mira.
Le plan initial était d’investir le circuit de MIRA pendant un week-end et d’aller titiller les 108 mph (180 km/h) de vitesse moyenne au tour. Début août, les seuls problèmes restants constituent à finir la préparation du véhicule et à réunir la montagne de paperasse exigée par le RAC pour valider les enregistrements des records.
Six chanceux sont finalement choisis pour piloter les Range Rover pour les tentatives de record. Il n'y avait ni processus de sélection officiel, ni même expérience du sport automobile requise, il fallait juste être membre du projet «Bullet » !
Pour répondre aux exigences de sécurité et d’arrêts rapides au stand, le « Beaver Bullet » fit l'objet d'un certain nombre de modifications. A commencer par l’installation de deux réservoirs de carburant agrémentés de deux orifices de remplissage course, émergeant du hayon arrière. Par ailleurs, à l’intérieur, on installa un arceau complet tandis que le siège passager et la banquette arrière furent supprimés pour réduire le poids. Comme le record concernait une performance sur une durée de 24H, un système d‘intercom fut mis en place, ce qui permit d’établir une liaison audio entre les pilotes et les stands.
Restait à organiser une chose essentielle au bon déroulé des records : l’organisation dans les stands. Les ingénieurs de l’usine ont ainsi fabriqué un portique pouvant supporter quatre lampes ultra puissantes, alimentées par un générateur de 50Kw.
A tous les niveaux, tout devait être organisé à peu de frais, tout le personnel étant bénévole. En plus de l’ambulance, du médecin et de la location de la piste de MIRA, c’est une armée de soixante dix personnes (dont deux ingénieurs italiens de VM qui étaient affectés à l'usine de Solihull à l’époque) qui fut dévolue au record. Il fallait faire dormir, nourrir et prendre en charge tout ce beau monde. Ainsi, l’intendance fut assurée par une camionnette (on dirait aujourd'hui un Food-Truck) qui, tout au long du weekend, offrait des hamburgers, des boissons gazeuses et des barres chocolatées afin de soutenir le moral de l’équipe.
Le premier jour des tentatives de record, un record à 106 mph de moyenne sur 200 miles fut validé.
Le premier pit-stop fut réalisé en moins de 33 secondes, ce qui est très rapide, pour faire le plein de carburant, nettoyer le tableau de bord, remettre du liquide de lave-glace, vérifier les pneus et, bien sûr, changer de pilote.
Au final, ce premier jour permit d’enregistrer le meilleur temps au tour de tout le week end, réalisé par Mike « Speedy » Smith à 108,13 mph.
Cependant au quatrième arrêt au stand, un contrôle mécanique révèla que deux
des goujons retenant le turbocompresseur au collecteur avaient disparu. De retour sur la piste la pression de suralimentation se mit à chuter, tout comme les temps au tour. Retour au stand, c’est alors que les autres goujons restants cèdent quand les mécaniciens les manipulent. Les goujons d’origine n’étaient pas adaptés au rythme du record, qui faisait tourner le moteur à des températures plus hautes que la normale. Après quelques discussions avec les chronométreurs officiels du RAC, il est décidé de reconstruire le moteur en utilisant des pièces de celui des essais.
Les deux ingénieurs de VM ainsi que Chris Jackson commencent immédiatement à travailler sur le moteur, tandis que Dewson est renvoyé à l’usine afin de ramener un collecteur, des goujons et une culasse.
Pendant la réparation les pilotes attendent, blottis au fond du lit d’une vieille caravane, empruntée pour le week-end. Les travaux se terminent à minuit, et la tentative de record peut reprendre.
Le Samedi 30 août, Beaver Bullet a battu pas moins de vingt cinq records et le 31 août, ce sont deux nouveaux records de distance qui tombent, parcourus respectivement en 12 heures avec 1220 miles ( 1952 km) à une vitesse moyenne de 101,68 mph ( 164 km/h) et 24 heures avec 2444 miles ( 3910 km) parcourus à une vitesse moyenne de 101,84 mph. C’est 1000 miles de plus que le précédent record !
Par la suite, le Range Rover propulsé par le moteur VM 2.4 a connu un énorme succès commercial dans les pays d'Europe favorables au diesel. En 1989, soixante quinze pour cent de tous les Range Rover vendus étaient équipés de moteurs diesel.
Et pourquoi ce nom de Beaver Bullet ? Eh bien il m’a fallu chercher dans les expressions argotiques anglaises. Un Beaver Bullet c’est… un tampon hygiénique. Oui le petit truc blanc que l’on met au bon endroit pour arrêter l’hémorragie. Le symbole : arrêter les retours saignants de la presse sur le VM 2.4 ?
Petit message personnel, que les participants à ce record se manifestent, je serais très heureux de leur offrir ce livre. Particulièrement Mike Smith, John Faulkner, Colin Parkes, Jon Ward, John Woodward, Pip Archer et leurs familles.
François Bouet