Paul Newman in 911 at 24 h of le Mans

Paul Newman aux 24 heures du mans en 911

 Comment un rouleau de scotch a empêché Paul Newman d’entrer dans la légende. 

 Nous sommes au début du mois de juin 1979, sur le circuit de la Sarthe, pour le départ de la plus grande course d’endurance au monde, les 24 Heures du Mans. L’absence d’Alpine-Renault, vainqueur l’année précédente, place Porsche en position de grand favori, face au petit poucet Rondeau, local de l’étape. Mais avant même le début des qualifications, c’est la présence de l’acteur américain Paul Newman sur la liste des pilotes engagés qui suscite le plus de commentaires. Caprice de star ? Ego démesuré ? Coup de pub ?  Au départ de la course, personne ne met une pièce sur Newman. Mais les sourires vont vite s’effacer. 

A l’aube de cette 47ème édition des 24 Heures du Mans, qui se déroulent les 9 et 10 juin 1979, tout le monde a peur…de s’ennuyer. Première déception, l’écurie Alpine-Renault, après une retentissante victoire l’an dernier, n’est pas revenue dans la Sarthe défendre son titre. Renault mise tout sur la Formule 1, laissant Porsche seul au monde. Pour tenter d’intéresser les foules, on vend aux médias un duel “David contre Goliath” avec Jean Rondeau, petit artisan du Mans, dont on dit qu’il serait capable de battre les Porsche avec une équipe composée de sept personnes. Ce sera le cas l’année suivante, face à des Porsche privées. En attendant, c’est un autre événement qui va passionner les foules.

 

Paul Newman est au Mans.

Dans les mois précédant la course, la rumeur avait enflé. L’acteur américain Paul Newman serait au départ des 24 Heures du Mans 1979. Si la nouvelle avait de quoi surprendre le grand public, les plus fins observateurs n’étaient pas sans connaître l’appétit de l’acteur pour le sport automobile. Une passion découverte sur le tard, à 43 ans, sur le tournage du film “Virages”,  dans lequel il joue le rôle d’un pilote des 500 Miles d’Indianapolis. Au moment où Newman pose un pied au Mans, il court depuis quatre ans et vient de lancer sa propre écurie de CanAm. Pas de quoi rassurer l’idole qui tente de se frayer un chemin aux abords du circuit. Paul Newman arrive énervé, anxieux et semble-t il remonté contre la horde de photographes qui l’empêche de rejoindre le stand de son écurie, le Dick Barbour Racing. Paul Newman ne donnera pas d’interview d’ici le départ, les médias sont prévenus. Ce qui n’empêche pas de faire plaisir à ses sponsors.

 Tropiques Hawaïens. 

Comme toujours, quand les américains débarquent, ils soignent la logistique. Heureusement, Paul Newman n’est pas venu tout seul, et embarque avec lui le partenaire

 “Hawaiian Tropic”, une marque américaine de crème solaire, également connue pour organiser des concours de beauté. Chaque apparition de la marque s’accompagne d’une belle brochette de jeunes femmes en bikini deux pièces, une pratique courante chez l’Oncle Sam, beaucoup moins dans le fin fond de la Sarthe. Photographes, officiels, VIP,  journalistes, pilotes, spectateurs se battent pour une photo avec les Hawaiian Miss, l’impact est énorme. Paul Newman n’a pas encore pris le départ de la course, mais la première mission de l’écurie est remplie, chacun des 140 000 spectateurs présents sur le circuit connaît désormais la marque “Hawaiian Tropic”. De quoi oublier qu’au soir des essais qualificatifs, la voiture partagée par Newman, Stommelen et Barbour est seulement seizième. Des équipiers qui confient à la télévision française : “Nous avons toutes les chances de finir cette course” , affichant des ambitions bien modestes.

 

Paul Newman n’est pas venu pour jouer.

 Au moment de prendre son premier relais, Paul Newman s’installe dans le baquet, ajuste son harnais et rabat la visière de son casque intégral sur un regard aussi bleu que déterminé. Si Paul Newman a refusé de s’exprimer, c’est justement parce qu’il connaît les nombreux pièges du Mans, et la difficulté de garder sur la piste sa monstrueuse Porsche 935 rouge dans ces conditions. Il le sait, chacun de ses mots sera interprété, déformé. La moindre évocation d’un quelconque objectif ou ambition aussitôt raillée au moindre pépin mécanique ou incident de course. Autant ne rien dire, et se contenter de piloter. Pourtant, la première partie de la course va sourire à l’équipage. Après une après-midi et une nuit passées à remonter un à un, les autres concurrents, le bilan au petit matin est plutôt flatteur. La Ford de Bell est en difficulté, alors que Jacky Ickx, favori de cette édition, est mis hors course, après avoir bénéficié d’une aide extérieure suite à une panne au bord de la piste. Reste en tête, la Porsche 935 du Porsche Kremer Racing, pilotée par les frères Don et Bill Whittington et Klaus Ludwig, avec une confortable avance sur l’équipage Newman-Stommelen-Barbour, qui vient de prendre la seconde place.

 Une réparation de fortune. 

Dans les gradins, on commence à mesurer la portée de l’exploit réalisé par Paul Newman. Chaque passage de la Porsche 935 étant salué comme il se doit par le public Manceau. Avec quinze tours de retard sur les premiers, personne n’imagine Paul Newman s’imposer mais un événement va retourner la situation en faveur de l’acteur-pilote. Dans la matinée, la Porsche 935K3 de tête s’immobilise dans la ligne droite des Hunaudières. En cause, la rupture de la courroie de pompe à injection. Nous sommes à trois heures trente de l’arrivée et rien n’est encore joué mais le pilote présent dans la voiture de tête, Don Whittington, doit suivre la procédure dictée à la radio par son team manager. A savoir, se munir de la courroie de rechange scotchée à l’intérieur de l’habitacle et la remplacer. Simple formalité ? Non, car il tombe des hallebardes, et que pilote ne signifie pas mécanicien. On le vérifie quand la courroie de rechange, très rigide, casse à son tour lors du remplacement. Tout espoir vient de s’envoler pour Whittington, qui peste contre lui-même sur le bord de la piste, trempé et en sueur. Mais avec 15 tours d’avance, l’équipe à le temps de réfléchir et de trouver une solution. Toujours conseillé à la radio par Manfred Kremer, le pilote va se munir d’une courroie d’alternateur de rechange, et d’un gros rouleau de ruban adhésif. En enroulant le ruban autour de la poulie d’arbre à cames, Whittington va réussir un premier miracle, redonner vie à la Porsche 935. Après de longues minutes d’immobilisation, le pilote se réinstalle au volant et remet le contact, avec succès. La voiture peut rentrer au stand au ralenti, second miracle. Une opération rendue service grâce aux communications radio entre les stands et la voiture, une technologie utilisée pour la première fois par l’écurie. 

Newman proche de l’exploit. 

Évidemment, pendant ce temps, l’équipage de Paul Newman, galvanisé par les encouragements de la foule et revigoré par les ennuis de la Porsche Kremer, réduit son retard. Mais alors que la 935 Barbour est en passe de prendre les rênes de la course, la roue avant gauche se bloque lors d’un arrêt au stand. Plus de 20 minutes sont perdues, Paul Newman termine à la seconde place des 24 Heures du Mans. Voilà comment une radio, associée à un rouleau de ruban adhésif empêcheront Paul Newman de monter sur la plus haute marche du podium de la plus grande course d’endurance au monde à 54 ans. La Porsche 935, restaurée dans sa livrée Hawaiian Tropic d'origine, a été vendue il y a quelques années, plus de quatre millions de dollars. Quant à Paul Newman, il continuera de courir, avant de devenir patron d’écurie en Indycar. Après cet épisode du Mans 1979,  personne n’osa remettre en cause ses talents de pilote.

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